Terre d’Arène

De et avec :

Dominique Montain – Henri Ogier – Quentin Ogier – Liz Claire – Laurent Fraunié – Markus Schmid

Conception :
Dominique Montain, Henri Ogier, Quentin Ogier
Mise en scène : Harry Holtzman
Scénographie : Henri Ogier
assisté de : Quentin Ogier
Composition musicale : Dominique Montain
Lumières : Yves-Marie Corfa
Régie : Yves-Marie Corfa, Olivier Foy

©photos : Martine Archambault

«Terre d’Arène» est né de l’envie d’affrontements sonores !!!

C’est parce que la compagnie travaille depuis des années sur le lien entre le mouvement et le son, le second découlant du premier par l’intermédiaire des objets sonores, que nous avons tout d’abord vu dans ces lieux dynamiques que sont les stades, les rings ou même les damiers, un support riche pour des joutes musicales.

Bien évidemment ce sont toutes les symboliques sous-jacentes du sport qui ont attiré notre attention. Toujours de manière distanciée et loin de l’anecdote, c’est cette multitude de liens possibles entre les personnes qui nous intéresse. Les luttes, les amitiés, l’influence des groupes sur les individus et d’un individu sur un groupe. L’isolement, aussi, l’échec, l’exode et le silence … le succès, la joie et le bruit ?

Avec humour et dérision, nous nous attacherons à dépeindre ces guerres virtuelles, rarement tout à fait amicales, menées au nom de nations, de groupes, voire de tribus. Ces passions qui se déchaînent à l’écoute d’hymnes nationaux, aux cris de guerre de certaines équipes, à la vue de quelques peintures sur les visages ou à la levée d’un drapeau.

Nous nous sommes amusés de la dérive des comportements humains, induite par l’argent et la « surmédiatisation » ; de l’instrumentalisation des sportifs, de ces grandes stars qui vendent leurs corps ; de tout ce qui s’apparente aujourd’hui à de nouveaux jeux du cirque.

Avant-propos sur le sport, la terre, l’arène et … par Harry Holtzmann, metteur en scène invité

« Si on regarde du ciel les arènes d’aujourd’hui, on voit des rectangles bien tracés de vert ou de couleur de terre, encerclés ou encadrés, interrompant le paysage urbain, comme des petites fenêtres ouvertes sur un jardin. Les stades modernes, comme le bien nommé « Astrodome »­­ de Houston, sont des ovnis d’un autre univers, qui bousculent les lignes droites des rues, les volumes carrés des buildings et la réalité du train-train de la vie quotidienne dans la cité. On plonge facilement dans cette autre réalité de l’événement (sportif) avec son propre climat (les intempéries extérieures n’ont aucune importance), son langage, ses nouvelles, ses journaux, son économie, son histoire, ses papes et ses rois …

  Le jeu dans l’arène est une ébréchure de la vie sur terre … pièce de vie encadrée, refaite, « re-présentée » de façon plus concentrée, plus ordonnée, plus majestueuse. Pour un moment donné du jeu, du match, du concours, toute action a un sens sûr. Tout ce qui est aléatoire, chaotique ou même métaphysique devient simple. Prenons, par exemple, les questions de la volonté de l’Homme, ses buts, sa raison d’être : sur le terrain du jeu, les réponses sont tellement évidentes, tandis que « sur terre », dans la vie, ces interrogations restent instables ou inscrutables ou—en tous cas—discutées. Quotidiennement, on tatonne ou on fait des mini-sauts de foi pour naviguer, alors que dans le jeu on sait là où il faut aller, même si parfois le ballon glisse ou ne rebondit pas exactement comme prévu. Les règles claires, les marquages au sol, distincts, le fléchage partout, les limites dans le temps exact au centième de seconde, les couleurs contrastées, parfois fluorescentes, pour repérer facilement « nous » et « eux », tout aide à canaliser (pendant « l’événement ») les mystérieuses forces qui habitent l’Homme. Le jeu permet d’expérimenter ces forces sans provoquer de vrai mal (ni de vrai bien), ? de les ressentir « gagner », de les faire « perdre » ?.

  Aujourd’hui, à toute occasion ou presque, d’autres intérêts extérieurs au sport s’accaparent cet atelier de l’Homme, et les stades deviennent des instruments, démagogiques, pour construire le fascisme du jour, les nationalismes à la mode, pour vendre les produits annexes et annexés ou pour d’autres contrôles des masses.  Les stades deviennent dans ces cas des endroits de perversion.

… le théâtre
Parallèlement, le théâtre induit à sa manière un ordre là où le chaos semble régner. Le plateau et le temps du spectacle encadrent pour pouvoir mieux regarder jouer des morceaux de vie. Au théâtre, on remet ses propres expériences entre les mains des personnages et des situations en représentation ; on fait le tri en plaçant les mystères de l’existence sous la loupe de la trajectoire héroïque, du dénouement du drame, de la dérision comique. De cette manière, on expérimente, « re-présente » les triomphes, les défaites et les absurdités de notre espèce.

Le théâtre qui nous concerne ici tente de sonder l’Homme aux endroits plus ou moins obscurs de son être : sa volonté, ses buts  … ses « intérêts extérieurs », son fascisme, sa consommation, sa perversion d’esprit …

Ce spectacle n’est pas une réalisation de conceptualisations anthropologiques, esthétiques ou philosophiques. C’est une traversée d’univers rêvés par des créateurs de jeu.
Comme dans les arènes antiques et les stades d’aujourd’hui, ça joue. Sur les terrains (les terres) qu’ils créent et recréent, les personnages défilent, animés par leurs folies de grandeur, comme s’ils passaient en revue leurs envies de pouvoir et de reconnaissance, leurs fantasmes de perfection.
Ils jouent pour devenir « grand », champion, héros. Parfois ils trébuchent. Parfois ils se blessent. Parfois ils font rire par leur détermination forcenée à accomplir des concours complètement extravagants ou insondables.

Dans « Terre d’Arène », on se donne la possibilité de revoir les micro-moments de l’événement sportif – la nano-seconde de la perdition et de triomphe. On voit les premiers pas de l’Homme, avant qu’il ne coure, avant qu’il ne fasse la course … et après …quand il se forme aux contraintes du jeu, qu’il s’entraîne et se construit une musculature, parfois un corps, spécifique, idéal, qu’il adopte même une psychologie nécessaire pour être performant. .. un mental et un corps qui ne sert qu’au sport… compétitif jusqu’à jusqu’au son sang modifié…

Quand il est allé aux extrêmes, quand il se « professionnalise», risque-t-il toujours d’être perverti ?
On met le nez là où les lignes tracées entre concours et bagarre (et amour) deviennent floues.
On réaménage et réexamine les hymnes nationaux.
On assiste à la montée des impérialismes qui happent l’espace du jeu.
L’arène devient une affiche. Le héros devient une machine. L’activité sportive elle-même est hachée pour servir à des fins anti-humaines.
On fouille les espaces à l’intérieur de soi, là où l’on rêve, où l’on formule et interprète.
Ces espaces de jeux sont aussi en danger.
Le voyage proposé s’appuie sur une trame simple, celle d’un homme, un héros sportif moderne, qui traverse sa vie avec ses proches et ses opposants. Comme certaines existences, cette histoire part en vrille. Elle nous parvient  par fragments qui se succèdent et s’interposent, des tableaux, qui mis ensemble, racontent cet homme et esquissent l’Homme.  » HH.

Le processus
Comme à l’accoutumée notre recherche commence par la création d’objets sonores en rapport par leurs formes ou leurs sonorités à notre thème. La construction dramatique se tisse parallèlement à leur fabrication et à la composition des thèmes musicaux auxquels les objets par la suite, se soumettent. Les objets sonores sont notre texte. Ce sont les allers-retours entre les répétitions sur le plateau et l’atelier de fabrication qui nous amènent, dans un premier temps à affiner les objets, et dans un deuxième temps, les compositions musicales et la dramaturgie.

Puis, sous le regard complice et structurant d’un metteur en scène, commence l’étape de l’écriture définitive : six acteurs danseurs musiciens rentrent dans l’arène pour explorer les pistes du jeu. Auprès d’eux, l’arbitre, le juge, tour à tour juste et corrompu, vient rythmer les métamorphoses successives de ces joueurs protéiformes. Joueurs de Tennis ou de Foot, joueurs de hasard ou nouveaux joueurs de flûte qui attirent les foules, joueurs au sens large du terme, autant d’ «actants» à l’esprit joueur…

L’écriture dramatique
Partie de formes totalement abstraites puisque nous mélangions la gestuelle, la musique et l’objet dans une sorte de livre d’images, la compagnie se dirige maintenant vers une écriture dramatique plus approfondie.
Tour à tour acteurs et manipulateurs, nous laissons apparaître les personnages par touches. Ceux-là s’immiscent petit à petit dans une « narration » tout en faisant progresser la plastique du spectacle. Les personnages s’extirpent de la forme conceptuelle pour s’inscrire dans un propos théâtral au sens large. L’objet donne vie à l’acteur, l’acteur à l’objet. L’acteur se manipule comme sa propre marionnette. Tirant des bords entre Shakespeare et Kantor nous naviguons modestement !!!… Nous tentons de créer des personnages hauts en couleurs qui par moments se fondent dans l’abstraction de l’épure.
En gardant une distance avec les personnalités du milieu sportif et en essayant d’éviter la caricature, Terre d’Arène dépeint le monde du sport à travers ses codes vocaux et gestuels, ancrés depuis longtemps dans l’inconscient collectif. Avec humour et dérision.
Au-delà de l’humour, nous tenterons d’en extraire la musicale théâtralité.

La création musicale
La compagnie persiste dans le parti qu’elle a déjà pris pour les deux précédents spectacles « mousson » et « les ailes du chaos » d’organiser une musique en direct, liée au fonctionnement des objets sonores mis en mouvement par le corps des comédiens.

 « Voir la musique » se fabriquer sous ses yeux ne sollicite pas seulement l’œil et l’oreille du spectateur, mais également son esprit, puisque l’image sonore et visuelle qui se déroule face à lui porte le sens. Dans le théâtre à texte, les mots sont les vecteurs principaux du sens. Dans le théâtre visuel et musical, l’objet sonore parle, raconte, grâce à son double potentiel : son aspect physique et les sons qu’il émet. En effet, fabriqué spécifiquement pour le thème choisi, le sport, ses formes esthétiques et ses capacités sonores concourent à écrire le spectacle.

Les matériaux
Avec « Terre d’Arène », le sujet est propice au jeu sonore, qu’il soit fortuit, semi-aléatoire ou composé. Ces trois aspects sont présents dans cette nouvelle création, bien que nous privilégions les deux derniers..

En effet le sport offre à nos oreilles une réserve inépuisable de sonorités en tous genres :
-avant, pendant et après un match, la musique du match lui-même, le rythme des balles, les sifflets, l’arbitre, les soupirs
-Le silence, la lourdeur de l’ambiance, la tension qui monte, le suspens…son propre rythme cardiaque.
-Hors terrain, la foule, les acclamations, les déceptions, les hymnes…
-les coulisses, la solitude, la parole, la douche…
-en off, les médias, radio, télévision, dans leurs délires verbaux…

La composition
Elle est indissociable de la recherche sur le terrain. C’est à partir de l’improvisation avec les outils sonores, leur dynamique propre, le résultat de relais ou de superpositions musicales, l’accord entre certaines sonorités que nous commençons le processus d’élaboration musicale, dans un renvoi incessant avec l’action visuelle. L’écriture peut alors commencer.

Evidemment, tout l’univers de sons « sportifs » ne sera pas réutilisé dans sa matière brute, mais sera travaillé en décalage avec la réalité pour ouvrir le spectacle sur d’autres sens possibles. Il sera question d’extraire de ces matériaux sonores des évocations, des frôlements de sens, des allusions, suggérant davantage que racontant. Principe fondateur dans le travail de la compagnie qui depuis toujours privilégie les touches impressionnistes à celles du réalisme, autant pour le sonore que pour le visuel.

Les sonorités de raquettes, de balles, boules, de pion sur l’échiquier, de souffles, de cris, de bâtons…seront sorties de leur contexte et organisées en mini-concert de l’instant dans un jeu subtile construit sur le terrain à partir des éléments aléatoires pris en compte par l’improvisation. Un canevas sera établi, suffisamment clair pour que l’organisation sonore soit solide même si le résultat musical est à chaque fois différent.

Le tissage complexe de sons bruts récupérés dans une trame sonore abstraite et de partitions écrites spécifiquement pour les voix et pour certains objets musicaux placera la musique au centre de la pièce.

La scénographie
La codification et la signalétique des sports nourriront ici la création d’objets sonores et une scénographie décalée mais allusive. Les drapeaux, les logos, les publicités seront sujets à déformation et détournés de leur sens premier pour traiter avec humour et dérision des réalités de notre monde contemporain.

C’est un espace scénique tour à tour terrain de football, ring, arène ou vélodrome que l’on transformera au gré de nos expérimentations. Les lignes qui délimiteront les terrains, parfois fils pour funambules ou véritables lignes de démarcation avec poste frontière, matérialiseront des espaces en permanente mutation. Nous évoquerons ce que le sport peut avoir de joyeux, mais hélas aussi ce que les stades ont offert et offrent encore comme espace aux pires dictateurs. Selon les amitiés et les haines, ces lignes se transformeront en murs infranchissables ou en cercles rassembleurs intercommunautaires.

Quatre grands projecteurs mobiles pourraient éclairer les quatre coins du stade, comme des poursuites ou des projecteurs de miradors… Une foule de pieds de caméras entourerait la scène comme une nuée de témoins toujours prêts à rendre compte des évènements…